Ce qui se passe actuellement en Grèce est bien le coup de grâce porté à la monnaie unique européenne.
D'aucuns se demandent si la Grèce va s'en sortir. La question est plutôt de savoir ce qui restera
de l'euro après cette crise. Sans doute la relique d'une superbe ambition construite à l'envers par
des technocrates qui ont pensé - et qui pensent toujours - qu'une union monétaire pouvait exister
sans union politique.(...)
L'« euro » dont la décomposition se déroule sous nos yeux (...) va laisser des millions de chômeurs,
des friches industrielles gigantesques, une paupérisation européenne encore incalculable, un
laxisme budgétaire qu'il faudra des années à purger, et une Allemagne toujours plus forte (...).
Alors qui a tué cette monnaie unique que l'on nous présentait il y a une dizaine d'années comme le gage de la prospérité européenne ? (...)
À côté de cette monnaie unique, il y avait un cahier des charges à respecter : le fameux « pacte de
stabilité et de convergence ». (...) La France et l'Allemagne se sont entendues d'emblée pour ne pas
le respecter(...). Avec le silence coupable de la Banque centrale européenne. Dans ces conditions,
même si les tricheries comptables de la Grèce ne sont pas à l'honneur de ce pays, elles n'ont rien
à envier aux facilités que se sont accordées les Etats pionniers.
Deuxième coupable : la Banque centrale européenne, qui a voulu faire de l'euro,
non pas une monnaie au service des intérêts européens, mais un « pendant » du dollar, une sorte
de devise de réserve.
À une période où la planète débordait de liquidités et avec une politique de taux aberrante, l'euro
est devenu pour les investisseurs une monnaie forte, très forte, trop forte, trop chère surtout.(...).
Elle a mis l'Europe industrielle à genoux, et enrichi les rentiers. Lorsque le jugement de l'histoire pourra sonner avec le recul suffisant, la politique monétaire menée depuis onze ans s'avérera autant une faute contre l'esprit qu'une erreur économique.
Troisième coupable : les États membres de la zone euro qui ont vite compris que cette monnaie, artificiellement forte, leur permettait de se livrer à toutes les incongruités budgétaires qu'ils voulaient.
Là où en temps normal la Grèce, l'Italie, l'Espagne, voire la France, auraient été contraintes de dévaluer - ruinant au . passage leurs épargnants - ces pays s'en sont donnés à coeur joie.
Quatrième coupable : les économistes qui se sont laissé envoûter par le mythe de la monnaie unique. (...). Et avant deux ans l'euro s'appellera de nouveau le mark !
Cinquième coupable : évidemment les géniteurs de cet euro qui l'ont conçu
comme une monnaie défensive afin de se libérer du dollar et de se protéger eux-mêmes des fameuses dévaluations compétitives. (...)
L'euro a été imaginé comme un socle pour l'Europe, alors que, comme l'avait montré Philippe Séguin, cette monnaie obligeait chaque pays à renoncer à sa politique économique.Donc à une part de son intégrité.
La question est désormais de sortir de ce noeud de vipères avec le moins de
morsures (...). Hélas, il se peut qu'il faille d'autres Grèce avant que les « experts » qui nous
ont amenés là, acceptent d'ouvrir enfin les yeux.